Peter Pan est-il porno-addict ?

Connaissez-vous Jordan Peterson ? Il s’agit d’un fascinant professeur de psychologie officiant à l’Université de Toronto, et dont la parole est devenue très médiatique, en tout cas sur le Web anglophone. On trouve des douzaines de vidéos d’interviews ou de cours de Peterson sur Youtube, dont certaines totalisent des millions de vues.

Je suis récemment tombé sur un extrait de ses cours, où il commentait le conte de Peter Pan (lien en anglais) et j’ai décidé d’en faire un article sur ce blog. L’idée de faire de Peter Pan le syndrome des gens qui ne veulent pas grandir n’est pas neuve, et a déjà été exploitée par d’autres psychologues.  Pourquoi en parler ici ? Parce que je crois que, nous autres pornophiles sommes des gens qui refusons de grandir et préférons le fantasme à la réalité.

Le commentaire que fait Jordan Peterson de ce conte est particulièrement saisissant. Il souligne à quel point l’histoire de Pan avertit des risques très réels, et graves, qui pèsent sur les gens qui préfèrent vivre dans leurs rêves plutôt que dans la réalité. Je vais donc m’appuyer ici sur le commentaire de Peterson, pour faire de Peter Pan une métaphore de ce que nous sommes, nous, les addicts au porno.

« Pan », en grec, cela signifie « Tout ». Peter Pan est l’être qui veut tout, c’est-à-dire qu’il ne veut pas choisir. Car lorsque l’on fait un choix, on arbitre. Choisir un chemin, c’est renoncer à emprunter tous les autres. Pan, comme tous les enfants, vit dans un monde où tout est encore possible. Il n’est que potentiel. Or, la réalité est toujours décevante, justement parce qu’elle implique de faire des choix. Et c’est pour échapper à ce cruel état de fait que Peter Pan refuse de grandir. Il vit donc dans un monde imaginaire (Wonderland), le monde de l’enfance.

Et là, Peterson souligne quelque chose de particulièrement intéressant quant à la principale relation de Pan : celle-ci est virtuelle. En effet, son amie est la Fée Clochette. Clochette est le contraire de Wendy, qui est une jeune fille les pieds sur terre, et qui représente le cadre de la réalité dans lequel s’inscrivent les adultes. Contrairement à Pan, Wendy finit par accepter de grandir. C’est elle qui insiste pour quitter Wonderland et rentrer dans le monde réel à la fin de l’histoire. Elle se destine à devenir adulte dans la société victorienne de son temps, condition peut-être peu glamour, et certainement frustrante, mais qui a le mérite d’exister. A l’inverse, dit Peterson, la Fée Clochette évoque la femme parfaite et inexistante du fantasme adolescent. C’est, dit-il, la star porno. Pan, en choisissant Clochette, ne choisit aucune femme réelle (et décevante par rapport à la perfection pornographique). Il préfère le fantasme à la réalité.  

Sexy, non ?

Le seul adulte que Pan côtoie, c’est son ennemi le Capitaine Crochet. Celui-ci a un crochet à la place de la main, depuis que le crocodile la lui a mangée. On l’entend venir de loin, le crocodile, car il a aussi mangé une pendule, en même temps que la main du Capitaine. Ici, la lecture de Jordan est très éclairante : le crocodile à la pendule, c’est une métaphore du temps. Le temps qui nous prend une chose après l’autre à mesure que nous vieillissons. La main de Crochet, c’est une métaphore des parts de nous-même auxquelles nous devons renoncer pour grandir, devenir adulte. Car grandir, pour Jordan, c’est essentiellement cela : faire le sacrifice de quelque chose. Abandonner, renoncer à certains possibles, pour embrasser une réalité, qui certes est décevante par rapport au fantasme, mais qui existe pour de bon.

Et Jordan enfonce le clou : le temps, le crocodile, finira par nous engloutir tout entier de toute façon, car nous allons mourir. Nous n’avons donc pas le choix, dit-il, de faire ou non des sacrifices. Le seul choix est dans ce que nous choisissons de sacrifier. Le fantasme, ou la réalité ? On ne peut pas avoir les deux.

Crochet est devenu un être tyrannique, car il n’a pas pu faire la paix avec cet état de fait, la nécessité du sacrifice. Comme dit Jordan, « you’ve got to pick your damn sacrifice. It’s a rough thing to figure out », qu’on pourrait traduire par « Il vous faut choisir votre fichu sacrifice. C’est dur de s’y faire. » C’est ça que j’aime chez Jordan Peterson, ça sonne dur et vrai, et ça change des discours mielleux qu’on entend un peu partout dans notre société qui mise tant sur la fameuse « bienveillance ».

Si la réalité est dure, pas la peine de lui plaquer un faux sourire…

Je crois que sa vision permet aussi de comprendre pourquoi la pornographie est addictive pour certains, et pas pour d’autres. Je crois qu’elle est addictive dès lors que vous avez une propension à avoir peur du réel, de ses contraintes, de ses inéluctables choix. Le réel est si angoissant qu’on veut se réfugier dans un monde imaginaire, un Wonderland.

D’une certaine manière, l’ennemi de Peter Pan n’est pas Crochet, mais Wendy. Crochet c’est en fait Pan, devenu adulte. Tout comme Pan, il est resté dans le monde imaginaire. Il s’est simplement aigri. Et être aigri, c’est être en guerre contre l’enfant qu’on était. Cet enfant, c’est Pan pour Crochet. Peut-être parce que Crochet s’est rendu compte qu’il a été berné par Pan, et que la vie à Wonderland est une impasse. Ou bien peut-être que c’est Pan qui a commencé. Car c’est quand même Pan qui a tranché la main de Crochet et l’a donnée à manger au crocodile ! L’enfant a forcé l’adulte au sacrifice, pour le forcer à grandir.

On ne se méfie jamais assez de son enfant intérieur.  

9 commentaires

  1. Bravo pour cet article que j’ai lu avec intérêt et attention. Cette lecture psychologique du conte de Peter Pan reste très pertinente, les liens que vous mettez en évidence entre l’addictologie au porno et la fuite de la réalité /la peur de grandir qui se reflète dans le personnage de Peter Pan me semble juste et réfléchie.

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      1. Peut-être avez-vous eu déjà entendu parler de « Psychanalyse des contes de fées » de Bruno Bettelheim. J’ai toujours été une lectrice curieuse et une enfant émerveillée par les contes de fées, les mythes, les récits fantastiques parce qu’ils me touchent beaucoup plus qu’un article technique et savant, qu’ils recèlent un implicite foisonnant de symboles et interprétations d’ordre philosophique, psychologique, littéraires !

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  2. Je ne connaissais pas cette lecture de Peter Pan (ni même l’histoire en totalité car jamais vu le dessin animé), mais je la trouve très juste. Les choix, le sacrifice, la réalité, le fantasme, rester dans le fantasme porno pr ne pas avoir à choisir de se mettre dans une relation et en vivre les mauvais côtés, préférer la nouveauté permanente plutôt que la fixation dans le réel et du coup renoncer à toutes ces possibilités de femmes, de fantasmes et chemins multiples, c’est exactement ces mécanismes là qui rentrent en jeu dans l’addiction porno.

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